Selon toute probabilité, l’Union européenne et le Royaume-Uni trouveront un accord, sous une forme ou une autre, pour gérer la sortie de ce dernier. Cependant, malgré un climat plus positif le mois dernier lors du quatrième round, les négociations sont au point mort. L’échéance fixée à 2019 se rapproche inexorablement et une sortie sans accord n’est plus à exclure.
Lors de son discours de clôture à l’occasion de la conférence annuelle du parti conservateur la semaine dernière, la Première ministre Theresa May a déclaré à ses fidèles qu’elle croyait en la possibilité d’un accord, mais que le gouvernement britannique se préparait au pire. “En tant que gouvernement, nous nous devons d’être prêts à parer à toute éventualité. Et je tiens à rassurer tous ceux présents ici : c’est exactement ce que nous faisons”, a-t-elle indiqué.
Outre le chaos, l’amertume et l’annonce faite avec assurance par certains des deux côtés de la Manche d’une opportunité exceptionnelle qui n’attend que d’être saisie, que se passerait-il réellement si le Royaume-Uni quittait l’UE sans accord ?
Les journalistes politiques de POLITICO se sont projetés au 30 mars 2019, date à laquelle le Royaume-Uni sortira de l’UE, et jettent un regard par-dessus le bord de ce que les Britanniques appellent désormais “la falaise” du Brexit dans 11 domaines clés.
DOUANES/PORTS
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- D’après les chiffres du gouvernement, les déclarations en douane dans les ports britanniques exploseront jusqu’à atteindre 255 millions par an, contre 55 millions actuellement.
- Résultat : d’interminables files se formeront aux points d’entrée sur le territoire. Les produits frais commenceront à pourrir en attendant le feu vert, et les routes menant aux ports de grande ampleur comme Douvres seront bloquées.
- Les chaînes d’approvisionnement à flux tendu qui nécessitent un transport rapide s’effondreront, y compris celles destinées à l’industrie lourde, aux constructeurs automobiles et aux fabricants de biens de haute technologie qui possèdent des usines d’assemblage au Royaume-Uni.
- Les producteurs irlandais de produits frais accuseront aussi probablement des retards lorsqu’ils passeront par la Grande-Bretagne pour atteindre le continent.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Si le Royaume-Uni quitte l’UE sans accord, cela mettra fin au bon déroulement des échanges commerciaux avec le continent et bouleversera le fonctionnement des autorités douanières, causant des perturbations majeures dans les ports britanniques. Selon l’Institute for Government, un groupe de réflexion installé au Royaume-Uni, 180 000 traders devront produire des déclarations en douane pour la première fois après le Brexit. Ces déclarations coûteront près de 4 milliards de livres supplémentaires aux entreprises chaque année.
En 2015, les autorités britanniques ont eu un avant-goût de ce qui les attend avec les quatre jours de grève des équipages de ferries français, qui ont eu d’importantes répercussions sur le port de Douvres. 4 600 camions s’étiraient sur près de 50 kilomètres de file et les équipes d’urgence ont distribué plus de 6 500 repas et 18 000 bouteilles d’eau aux chauffeurs bloqués. Les entreprises ont subi un préjudice de 21 millions de livres en denrées périssables et dans son ensemble, l’économie britannique a perdu environ 1 milliard de livres.
Le scénario d’une sortie brutale contraindrait le Royaume-Uni à s’assurer que les nouveaux systèmes informatiques, le personnel et les infrastructures nécessaires peuvent immédiatement entrer en action afin de gérer l’augmentation massive des contrôles douaniers.
Les autorités du port de Douvres, le premier port de marchandises du Royaume-Uni, insistent sur le fait que tout contrôle douanier supplémentaire paralyserait le trafic. Les falaises blanches empêchent les installations portuaires de s’étendre afin d’organiser les processus douaniers et les contrôles, aussi brefs soient-ils, entraîneraient rapidement des embouteillages.
Que réserveront les mois suivants ?
Dans le pire des cas, le blocage des principaux ports freinerait les échanges commerciaux et mènerait à une énorme pénurie de biens entrant sur le territoire britannique. Le prix des denrées alimentaires est susceptible d’augmenter. Les agriculteurs et éleveurs devraient faire appel à des contrôleurs ainsi qu’à des experts en santé et sécurité pour s’assurer que tous les produits – œufs et lait, viande de bœuf et pommes – sont conformes aux normes européennes. En effet, sans autorisation préalable, ces produits ne pourront être vendus sur le continent.
Le blocage aux douanes ralentira également les exportations de l’UE vers les consommateurs britanniques et perturbera l’acheminement des pièces et composants vers les entreprises possédant, au Royaume-Uni, des usines de production qui dépendent des chaînes d’approvisionnement transmanche.
Dublin suit aussi la situation avec attention, étant donné que les 45 milliards d’euros d’exportations annuelles de l’Irlande sont en grande partie des produits frais transportés en camion vers le continent via le Royaume-Uni. Emprunter la voie maritime pour contourner la Grande-Bretagne est plus long et l’espace disponible est limité.
Comment y remédier ?
Le gouvernement britannique doit investir dans l’élargissement des routes, et construire de nouvelles zones dédiées au stationnement et aux formalités douanières dans ses centres d’échanges commerciaux majeurs. Il a déjà mis de côté 250 millions de livres afin d’aménager une nouvelle aire pouvant accueillir 3 600 camions, adaptée à la densité du trafic provenant du port de Douvres.
Les systèmes de contrôle douanier devront également être améliorés, notamment à l’aide de caméras qui reconnaissent les véhicules ayant déjà été vérifiés et autorisés à passer. Certains ont aussi suggéré de rassembler, sous l’autorité d’un seul ministère, les compétences des plus de 30 agences et institutions publiques chargées de réglementer et d’inspecter les processus douaniers.
COMMERCE
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Le libre-échange entre l’UE et le Royaume-Uni prendra fin le 29 mars 2019 à minuit. Dès lors, les deux parties appliqueront les droits de douane fixés par l’Organisation mondiale du commerce.
- Ajoutés aux retards causés par les nouveaux contrôles douaniers, de tels obstacles tarifaires risquent d’affecter considérablement l’approvisionnement en nourriture et autres biens importés par le Royaume-Uni depuis l’UE.
- En quelques jours, voire quelques heures, le surcroît de dépenses liées aux droits de douane et aux retards pourrait s’avérer problématique pour les entreprises, les chaînes d’approvisionnement et les détaillants qui dépendent des biens échangés avec les 27 pays de l’UE. Presque tous les secteurs économiques seraient touchés.
- Les prix pratiqués dans les magasins augmenteraient inévitablement.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Avec l’application des droits de douane de l’OMC, les échanges commerciaux entre l’UE et le Royaume-Uni coûteront beaucoup plus cher. Dans le cadre de l’OMC, l’UE applique des droits douaniers moyens qui débutent à 2,4 % pour les équipements électriques, passent à 11,4 % pour le poisson et peuvent atteindre 37,4 % pour les produits laitiers. Ces tarifs seraient appliqués aux exportations britanniques vers l’Europe dès la sortie du Royaume-Uni.
Le Royaume-Uni pourrait décider de diminuer ou d’abandonner totalement ses propres droits de douane fixés par l’OMC envers l’UE, afin d’atténuer l’augmentation des prix pour la multitude de produits européens dont dépend l’économie britannique. À ce jour, 53 % des importations totales du pays proviennent de l’UE ; cela permettrait de faciliter la transition. Mais la solution n’est pas si simple.
Conformément à une clause de l’OMC concernant la “nation la plus favorisée”, le Royaume-Uni serait contraint d’accorder les mêmes avantages tarifaires aux 136 autres pays membres de l’OMC. Ouvrir aussi largement la voie à une concurrence bon marché et incontrôlée en provenance des quatre coins de la planète serait très difficile à défendre sur le plan politique.
Que réserveront les mois suivants ?
Cette atteinte au commerce entraînera probablement de graves conséquences : un recul de l’économie britannique, la faillite de plusieurs entreprises et la perte de milliers d’emplois.
Selon un rapport rédigé par le cabinet juridique Baker McKenzie et le bureau d’études Oxford Economics, les secteurs de l’automobile, de la technologie, des soins de santé et de la fabrication des biens de consommation pourraient perdre chaque année 17 milliards de livres d’exportations vers l’UE. Or ces secteurs représentent au total 42 % du PIB industriel du pays.
L’économie européenne n’est pas en reste : les constructeurs automobiles allemands, les maraîchers français et de nombreuses autres sociétés vendront moins au Royaume-Uni. Mais les entreprises européennes seront en mesure de minimiser ces pertes grâce à un marché plus vaste et davantage de possibilités de diversification.
Les partisans du Brexit soutiennent qu’une sortie brutale profitera au Royaume-Uni à long terme, car elle lui permettra de conclure des accords commerciaux bilatéraux avantageux avec d’autres nations du monde entier. Ils n’ont pas tort, mais ces accords requièrent des années de tractations.
Comment y remédier ?
La seule solution face au dilemme de l’OMC est de négocier un accord commercial. Une fois que les pourparlers sont en cours, les règles de l’OMC autorisent les pays à diminuer bilatéralement les droits de douane sur les marchandises.
SANTÉ
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Le projet de loi britannique de retrait de l’Union européenne, s’il est adopté, transpose le droit européen dans le droit britannique. Les changements seront donc dérisoires à court terme. Les médicaments et dispositifs médicaux ayant obtenu une licence européenne continueront à être reconnus au Royaume-Uni.
- L’incertitude demeure quant à la validité des évaluations médicamenteuses menées par des experts britanniques pour l’Agence européenne des médicaments et par conséquent, la question se pose de savoir si de tels produits pourraient être acquis auprès de détaillants sur le continent.
- La législation européenne stipule que les médicaments importés dans l’UE doivent être soumis à des tests rigoureux. Cela signifie que les fabricants établis au Royaume-Uni devront instaurer des centres de “contrôle des lots” sur le continent, afin qu’un organisme de régulation agréé par l’UE puisse vérifier chaque nouveau lot et s’assurer que la qualité est conforme aux lois européennes.
- Tous les médicaments élaborés au Royaume-Uni seront considérés comme des importations vers l’UE et assujettis à des droits de douane, et cette règle s’appliquera très certainement dans l’autre sens.
- Les entreprises dont le siège se situe au Royaume-Uni et qui commercialisent des médicaments homologués par l’UE devront impérativement posséder un établissement au sein de l’UE et y transférer les droits relatifs à ces médicaments. Leurs équipes de pharmacovigilance devront en outre être installées dans l’UE.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Les prix des médicaments en Europe et au Royaume-Uni augmenteront en raison des droits de douane (généralement inférieurs à 10 %) sur les importations de médicaments et dispositifs médicaux. Une immense quantité de produits pharmaceutiques importés au Royaume-Uni et dans l’UE devront subir de nouveaux tests par lots, ce qui ralentira l’accès aux médicaments et entraînera des pénuries dans les pharmacies et les hôpitaux.
Que réserveront les mois suivants ?
Près de 15 % des fonds alloués aux chercheurs britanniques sont actuellement prélevés dans les 80 milliards d’euros du programme scientifique européen Horizon 2020. Le Royaume-Uni s’est engagé à garantir ces fonds après le Brexit et jusqu’en 2020. Cependant, à moins que le gouvernement n’intervienne pour financer le successeur du programme Horizon 2020, les universités et chercheurs britanniques devront revoir leurs ambitions à la baisse.
Par ailleurs, le pays se laissera distancer par l’Europe en tant que destination pour tester les médicaments expérimentaux et, par la suite, pour lancer les toutes dernières technologies : il sera en effet mis à l’écart des essais cliniques de l’UE.
Comment y remédier ?
Le Royaume-Uni peut instaurer un système visant à accepter les processus d’homologation des médicaments mis en œuvre par l’Agence européenne des médicaments (EMA), probablement en créant un nouvel organe chargé de prendre les décisions en la matière à la place de la Commission européenne.
Le Royaume-Uni devra s’entendre avec l’Europe afin de reconnaître les travaux de l’EMA, ce que l’UE pourrait refuser. À ce jour, les pays qui adoptent les recommandations de l’EMA (notamment la Norvège, qui ne fait pas partie de l’UE mais appartient à l’Espace économique européen) contribuent au budget de l’UE pour bénéficier de ce privilège. La Norvège n’a toutefois pas son mot à dire dans la politique européenne de sécurité des médicaments. Cette règle s’appliquerait également aux essais cliniques et dispositifs médicaux.
Par ailleurs, l’Agence britannique de réglementation des médicaments et des produits de santé (MHRA) devra accroître ses effectifs et trouver des moyens d’encourager les firmes pharmaceutiques à faire homologuer leurs produits directement au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique sera sous pression pour offrir des avantages fiscaux pour convaincre les entreprises de ne pas quitter le pays.
COMPAGNIES AÉRIENNES
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Tous les vols entre le Royaume-Uni et l’Europe des 27 seront interrompus. Vraiment. En l’absence d’accord de transition (voir détails ci-dessous), l’impensable se réaliserait.
- Le Royaume-Uni ne fera plus non plus partie du traité “Ciel ouvert” liant l’UE aux États-Unis, ce qui signifie que les avions vers ces destinations seront également cloués au sol.
- Les voyageurs d’agrément et d’affaires seront contraints de prendre le ferry ou le tunnel sous la Manche entre la Grande-Bretagne et la France, engendrant une explosion de la demande et des retards considérables à l’embarquement.
- Il sera impossible de transporter les organes destinés aux transplantations par le biais de vols réguliers entre le Royaume-Uni et l’Europe des 27.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Dès le début des discussions, Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, avait prévenu que le trafic aérien serait “sérieusement perturbé” si aucun accord n’était trouvé. Le Royaume-Uni ne fera plus partie du marché unique de l’aviation, lequel autorise les compagnies aériennes européennes, y compris celles enregistrées au Royaume-Uni, à mener leurs activités dans les pays de l’UE.
L’impact d’un scénario dépourvu d’accord serait énorme. Chaque année, plus de 135 millions de passagers s’envolent vers l’un des 27 pays de l’UE depuis les aéroports britanniques. Cela équivaut à 370 000 passagers par jour, qui seront dans l’impossibilité d’embarquer dans un avion pour atteindre leur destination dès le 30 mars 2019.
La situation sera bien plus grave pour le Royaume-Uni que pour les 27. Plus de la moitié des passagers pris en charge dans les aéroports britanniques se rendent dans l’un des pays membres. Quelque 11,5 % des passagers qui passent par les aéroports des 27 volent en provenance ou à destination du Royaume-Uni. Les pays de l’UE qui affichent la plus forte proportion de passagers à destination du Royaume-Uni, et qui seront donc les plus affectés par un tel changement, sont l’Irlande, la Slovaquie, Chypre, Malte, la Pologne, la Lituanie et l’Espagne.
Que réserveront les mois suivants ?
Contrairement à d’autres secteurs économiques, l’aviation n’est pas soumise aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Les droits de trafic – le droit de rallier des pays par les airs, d’embarquer et de débarquer des passagers et des marchandises – sont définis par des accords propres aux services aériens. Ces droits reposent sur des pourcentages de participation (les capitaux européens représentent au moins 50 % de l’actionnariat des compagnies aériennes européennes).
Les compagnies aériennes des 27 principalement détenues par le Royaume-Uni, comme Ryanair en Irlande, devront adapter leur actionnariat. Quant aux compagnies aériennes britanniques caractérisées par un volume de trafic important au sein du continent, elles devront créer une compagnie dans l’un de ces pays.
Comment y remédier ?
La première étape consistera à conclure un accord de transition, qui permettra de conserver au moins les liaisons directes entre le Royaume-Uni et l’Europe des 27. Sous l’impulsion de leurs propres compagnies, certains pays membres exerceront des pressions considérables pour restreindre l’accès des compagnies aériennes britanniques au marché. D’autres pays, comme l’Irlande, prôneront une approche plus libérale.
SÉCURITÉ/RENSEIGNEMENT
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Pas grand-chose au cours des premières semaines. Techniquement, le Royaume-Uni doit quitter les plateformes européennes de partage des données de sécurité, mais cela pourrait prendre plusieurs semaines.
- La mise en commun des renseignements au niveau du MI5, du MI6 et du GCHQ avec leurs homologues dans des pays européens est bilatérale. La sortie de l’UE n’a donc aucune incidence.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
En quittant l’UE, le Royaume-Uni n’aura plus accès aux bases de données communautaires, à moins de conclure un accord spécial. Citons notamment le système d’information Schengen, un outil essentiel pour lutter contre la criminalité transfrontalière, qui contient plus de 65 millions d’entrées sur des individus, des armes et des véhicules. Sans oublier toutes les bases de données d’Europol, telles que le système d’information Europol (SIE), sa principale source d’informations sur la criminalité, ainsi que des bases de données contenant des listes de terroristes étrangers. Le pays n’accéderait plus non plus à l’application de réseau d’échange sécurisé d’informations (SIENA), la plateforme utilisée par l’agence pour échanger des informations.
Cependant, le retrait de ces bases de données ne surviendra pas du jour au lendemain. La secrétaire d’État britannique à l’Intérieur, Amber Rudd, a déclaré qu’en l’absence d’accord avec l’UE, son pays retirerait toutes ses informations des bases de données. Mais il faudrait certainement compter plusieurs semaines avant que les représentants officiels de chaque partie ne démêlent les questions juridiques délicates relatives à la propriété des données. Une fois les informations britanniques enlevées, les bases de données seront moins utiles pour les enquêteurs. Par conséquent, la sécurité des citoyens européens et britanniques pourrait être compromise.
Que réserveront les mois suivants ?
Dans le pire des cas, le Royaume-Uni sera complètement isolé sur le plan du partage d’informations, surtout après une future attaque terroriste. Si l’auteur de l’attaque est un citoyen de l’UE avec un casier judiciaire dans l’un des pays membres, le Royaume-Uni sera dans l’impossibilité d’accéder à ces renseignements via les bases de données européennes. Par ailleurs, le mandat d’arrêt européen ne sera pas valable sur son territoire, ce qui signifie que les criminels pourraient décider de s’y réfugier s’ils sont recherchés par les services de police des pays européens.
Comment y remédier ?
La sécurité est tellement importante que le scénario le plus extrême est peu plausible. Theresa May a suggéré un traité de sécurité distinct dans son discours à Florence, en septembre dernier.
L’UE pourrait négocier un accord sur mesure avec le Royaume-Uni afin qu’il reste membre d’Europol et puisse accéder à ses bases de données, ainsi qu’au système d’information Schengen.
Mais ce type d’accord pourrait s’avérer compliqué : en effet, Europol opère sous la juridiction de la Cour européenne de justice (CEJ) qui, selon le gouvernement britannique, n’aura plus voix au chapitre dans le pays après le Brexit.
ENVIRONNEMENT ET CLIMAT
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Si les ports sont paralysés en raison de l’augmentation des contrôles douaniers, des tonnes de déchets censés être expédiés vers des pays de l’UE pour y être incinérés ou recyclés seront bloqués avec les autres marchandises.
- Les nouveaux droits de douane sur les exportations de déchets et les matières destinées au recyclage entraîneront un accroissement des coûts environnementaux pour les entreprises et une baisse des revenus pour les municipalités.
- Le marché européen du carbone, le système d’échange de quotas d’émission (SEQE), sera perturbé.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
L’effet le plus immédiat s’exercera sur les marchandises soumises à des règlements environnementaux spécifiques, comme les déchets ou le bois. Le Royaume-Uni exporte de grandes quantités de déchets et matériaux recyclables à traiter dans l’UE. Il importe aussi du bois de construction en provenance de Scandinavie et des pays baltes, ainsi que des essences exotiques originaires d’Asie ou d’Afrique, qui transitent par les ports belges et néerlandais.
La question principale est de savoir quels seront les droits de douane appliqués aux échanges en 2019. Néanmoins, le cadre juridique régissant ces échanges soulève également des questions pour certains produits. Le commerce du bois, par exemple, est soumis au règlement de l’UE sur le bois, qui prévoit des autorisations afin d’empêcher la mise sur le marché de bois issu de l’abattage illégal. Le secteur est inquiet, car créer un tout nouveau système pourrait imposer des formalités administratives supplémentaires par rapport aux dispositions actuelles.
Le Brexit désarçonne les négociants en énergie et bouscule le marché européen du carbone. Avec le SEQE, les entreprises britanniques détiennent des quotas de pollution. En cas de “Brexit dur”, le Royaume-Uni n’y serait plus assujetti. Les quotas d’émissions pourraient être annulés en vertu d’un plan auquel réfléchissent encore le Parlement européen et les pays de l’UE. Si tel est le cas, cela ne devrait pas avoir d’impact immédiat sur une compagnie aérienne comme British Airways ou une centrale électrique britannique, car le Royaume-Uni ne serait plus tenu de respecter les règles du marché européen du carbone. Cette proposition devrait d’abord être approuvée par les pays membres de l’UE et la Commission européenne. Néanmoins, elle a suscité de vives réticences auprès des négociants et du secteur énergétique, qui craignent une dévaluation des quotas détenus dans le pays. La Fédération européenne des négociants en énergie a déclaré que la proposition était “très préoccupante” et présenterait “des risques contractuels et commerciaux considérables dont les législateurs n’ont pas conscience”.
Que réserveront les mois suivants ?
Le transport des déchets est régi par des conventions internationales ; il n’y a donc aucune raison légale de les bloquer à la frontière. Mais s’il n’y a aucun accord commercial de transition et que des droits de douane sont appliqués, en déterminer le montant ne sera pas aisé.
De manière plus générale, le Royaume-Uni pourrait prendre ses distances avec un certain nombre de règles ou objectifs environnementaux, comme ceux établis par les directives “Oiseaux” et “Habitats” visant à préserver les espèces protégées. En revanche, le pays continuera probablement à respecter le règlement REACH sur les produits chimiques autorisés, car créer un nouveau système serait trop onéreux.
Le Royaume-Uni a par exemple apporté son soutien au renouvellement de l’autorisation de commercialisation du glyphosate, un herbicide controversé qui fait actuellement l’objet de débats au niveau européen. Si les pays de l’UE décident de l’interdire pour des raisons sanitaires et environnementales, le Royaume-Uni pourrait l’autoriser unilatéralement.
Comment y remédier ?
Si le Royaume-Uni souhaite poursuivre ses échanges de biens et services avec l’UE, celle-ci est susceptible de lui demander de respecter ses normes environnementales. Le secrétaire d’État à l’Environnement, Michael Gove, a récemment déclaré au Comité de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales du Parlement britannique que la Grande-Bretagne ne s’en tiendrait pas forcément à des normes parfaitement identiques. Au lieu de cela, elle chercherait plutôt à obtenir une “reconnaissance mutuelle”.
Si l’on se fie aux récentes remarques formulées par Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, la tâche ne sera pas simple. “Le Royaume-Uni veut reprendre le contrôle, il veut adopter ses propres normes et règlements. Mais il veut aussi que ces normes soient automatiquement reconnues au sein de l’UE”, a expliqué Michel Barnier. “C’est tout simplement impossible.”
ÉNERGIE/EURATOM
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Lorsqu’il aura quitté Euratom, le Royaume-Uni n’aura plus de système d’inspection et de garantie approuvé sur la scène internationale. En d’autres termes, les pays membres et non-membres de l’UE ne pourront plus lui envoyer de matériaux ou composants nucléaires pour les centrales électriques.
- En fonction des réserves de combustible nucléaire accumulées avant le Brexit, le Royaume-Uni pourrait se trouver démuni et faire face à des coupures de courant. Ses huit centrales nucléaires produisent près de 20 % de son électricité.
- Outre le risque de black-out, le Royaume-Uni ne fera plus partie du marché intérieur de l’énergie de l’UE. Les flux de gaz et d’électricité entre les deux parties ne devraient pas automatiquement être interrompus, mais cette situation pourrait engendrer de nouveaux droits de douane et rendre les règles commerciales plus complexes, ce qui entraînerait une hausse des prix.
- L’approvisionnement en isotopes radioactifs, utilisés pour diagnostiquer et traiter les patients souffrant d’un cancer, sera presque immédiatement à l’arrêt au Royaume-Uni. Ces matériaux se dégradent en quelques heures et le Royaume-Uni n’en produit pas.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Le Royaume-Uni a été clair sur ce point: outre l’UE, il quittera également la Communauté européenne de l’énergie atomique, Euratom. S’il ne parvient pas à créer, avant son départ, son propre système de remplacement pour l’inspection des sites nucléaires, destiné à vérifier qu’ils ne sont pas utilisés pour fabriquer des armes, il ne sera pas autorisé à se procurer des matériaux ou composants nucléaires auprès de l’UE ou d’autres pays.
Le blocage de l’importation de composants spécialisés pourrait contraindre les centrales à cesser leurs activités. La centrale nucléaire de Sizewell B, par exemple, emploie une technologie fournie par l’entreprise américaine Westinghouse. Celle-ci n’aura pas le droit de livrer des équipements à la Grande-Bretagne en l’absence d’accord de coopération nucléaire liant les deux nations. Quatre des centrales nucléaires britanniques sont censées fermer en 2023 ou 2024, suivies des quatre autres entre 2028 et 2035. En attendant, des travaux d’entretien seront certainement nécessaires au fur et à mesure qu’elles vieillissent.
Au Royaume-Uni, les tarifs ont déjà augmenté par le passé. Le prix de l’électricité est monté en flèche en 2014 suite à une panne de plusieurs mois à la centrale nucléaire de Heysham, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il a ensuite enregistré une nouvelle hausse en septembre 2016, quand la fermeture partielle imprévue d’un câble électrique entre la France et l’Angleterre a coïncidé avec une vague de chaleur inhabituelle – et par conséquent, une plus forte demande en climatisation.
Que réserveront les mois suivants ?
Le Royaume-Uni commencera à manquer de combustible nucléaire et la construction de sa nouvelle centrale, Hinkley Point C, sera suspendue. En outre, les fonds consacrés à la recherche et au développement dans ce domaine viendront à manquer. Le pays pourrait également cesser de suivre les règles complexes en vigueur sur le marché énergétique européen pour le commerce du gaz et de l’électricité. Cela aurait toutefois un impact négatif sur les échanges avec d’autres nations.
Comment y remédier ?
Le Royaume-Uni et l’UE pourraient décider d’appliquer un régime transitoire; la Grande-Bretagne aurait ainsi plus de temps devant elle, ce qui lui permettra de préparer son retrait d’Euratom et de conclure tous les accords de coopération bilatéraux requis pour continuer à échanger du combustible et des équipements. Même si le Royaume-Uni met sur pied son propre système d’inspection et de sécurité, une tâche considérable dans le délai imparti, les accords devront être ratifiés par d’autres pays. Le système lui-même devra être accepté par l’Agence internationale de l’énergie atomique.
PÊCHE
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Le Royaume-Uni bloquera l’accès à une zone de 200 milles nautiques autour de l’île, appelée Zone économique exclusive. La marine britannique patrouillera au large des frontières pour empêcher les pêcheurs européens d’attraper illégalement du poisson dans les eaux britanniques.
- Des pêcheurs, mais aussi des usines britanniques de transformation et de distribution de poisson feront faillite à cause des droits de douane imposés par l’UE sur les exportations et de l’accès limité au marché européen.
- L’Allemagne et le Danemark devront également renoncer à d’importants volumes de vente dans le secteur de la pêche, car ils figurent parmi les cinq principaux pays exportateurs vers le marché britannique.
- Les pêcheurs de l’UE pourraient perdre leurs investissements dans les flottes et entreprises britanniques en fonction des règles adoptées par le gouvernement.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
La politique commune de la pêche n’étant plus en application au Royaume-Uni, les navires de chacune des deux parties devront s’arrêter là où commencent les eaux de l’autre. Des actions militaires sont peu probables mais, en fin de compte, c’est la marine britannique qui sera chargée de défendre la zone économique exclusive du pays contre la pêche illégale. La même règle s’appliquera aux marines des pays de L’UE. Ce type d’action n’est pas inédit : en 1995, la marine canadienne avait ouvert le feu sur des pêcheurs espagnols qui étaient entrés dans une zone où la pêche au cabillaud était interdite, au large de Terre-Neuve.
De nouveaux droits de douane (allant de 2 % sur le saumon à 15 % sur la sole, le turbot et le colin) auront certainement un impact considérable sur le secteur de la pêche pour les deux parties impliquées dans le Brexit. Néanmoins, les effets à court terme se feront davantage ressentir du côté des pêcheurs britanniques. En dépit de son statut d’importateur net en la matière (en 2016, les importations de poisson s’élevaient à 730 000 tonnes, contre 442 000 tonnes exportées), la plupart des exportations du Royaume-Uni sont destinées à l’UE. Les quatre destinations principales des exportations britanniques de poisson sont: la France (86 000 tonnes), les Pays-Bas (68 000 tonnes), l’Espagne (36 000 tonnes) et l’Irlande (31 000 tonnes).
Pendant quelques mois après le Brexit, certains pays comme le Danemark et la France pourront continuer à attraper du poisson en vertu de la Convention de Londres sur la pêche, une règle datant de 1964 qui protège certains droits de pêche dans les eaux britanniques. Mais le Royaume-Uni a déjà entamé les démarches pour se retirer également de cette convention, et sa sortie sera effective en juillet 2019.
Que réserveront les mois suivants ?
En l’absence d’accord, les pêcheurs britanniques bénéficieront d’un accès exclusif aux eaux entourant l’île. Cependant, ils écouleront leurs prises sur un marché restreint car leurs exportations vers l’UE seront soumises à des droits de douane.
Plus de 100 stocks halieutiques partagés, actuellement pris en charge par la politique commune de la pêche en vigueur dans l’UE, perdront leurs plans de gestion et leurs systèmes de quotas dès le départ du Royaume-Uni. Cette situation pourrait se traduire par une surpêche et un épuisement des stocks au fil du temps.
Comment y remédier ?
Il existe un mécanisme permettant d’éviter que chacun se serve à sa guise et que les ressources en poisson n’en subissent les conséquences. Conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les pays qui partagent leurs frontières sont censés gérer conjointement les stocks de poisson. Le Royaume-Uni devrait donc négocier avec ses anciens partenaires européens pour déterminer la meilleure façon d’y parvenir. Dans le même temps, il s’efforcera de développer de nouveaux marchés pour écouler son poisson aux quatre coins de la planète, en scellant des accords commerciaux avec d’autres pays.
TECHNOLOGIE
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Si vous possédez un abonnement mobile britannique, dites adieu aux appels, SMS et posts Facebook gratuits lorsque vous voyagerez dans l’UE : le Royaume-Uni ne fera plus automatiquement partie du pacte prévoyant la suppression des frais d’itinérance dans l’Union.
- Les entreprises devront cesser de partager des données numériques entre le Royaume-Uni et l’UE, étant donné l’absence d’accord de confidentialité liant les deux parties. Les services de surveillance et de renseignement britanniques feront également l’objet d’un contrôle accru de la part de l’UE afin de garantir le respect des normes sur la protection de la vie privée.
- L’autorité de la concurrence britannique sera inondée d’affaires antitrust de haut vol, qui étaient auparavant uniquement prises en charge par les fonctionnaires européens. Un véritable raz-de-marée de jugements que l’organisme n’a pour l’instant pas les moyens d’affronter, selon les experts.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Les géants de la technologie qui ont investi des milliards de dollars dans le pays pourraient être contraints de revoir leurs projets au Royaume-Uni. Ce phénomène se produira surtout si le monde politique britannique continue à promouvoir une législation portant atteinte au cryptage numérique, et autorise les services de sécurité à accéder aux messages envoyés aussi bien par les Britanniques que par les étrangers. Les politiques prévoient en outre de mettre les bouchées doubles dans des domaines tels que l’intelligence artificielle, afin que Londres et d’autres grandes villes du pays conservent une longueur d’avance sur leurs rivaux du continent.
Enfin, l’Europe aura moins facilement accès à la plus large concentration d’investisseurs en technologies sur le continent ainsi qu’au pays qui, avec l’Irlande, entretient sans doute les liens les plus étroits avec les géants de la Silicon Valley.
Que réserveront les mois suivants ?
Londres, qui abrite la plus vaste industrie technologique du Royaume-Uni, verra diminuer le nombre d’ingénieurs et développeurs disponibles; la plupart n’auront plus automatiquement la permission de travailler légalement dans le pays.
La position du Royaume-Uni sur la protection de la vie privée, la concurrence et les taxes sera également plus étroitement surveillée par les autres pays européens, inquiets que les législateurs britanniques en profitent pour convaincre les start-up et géants du numérique de s’installer sur son territoire plutôt que dans l’UE.
Des villes européennes telles que Paris, Berlin et Stockholm tenteront de reprendre la position dominante de Londres dans l’écosystème technologique de l’Union. À Bruxelles, les responsables politiques plaideront pour une démarche plus interventionniste (y compris des mesures drastiques concernant les pays où les géants de la technologie paient leurs impôts), jusqu’à présent mise en échec par le Royaume-Uni, entre autres.
Comment y remédier ?
En matière de confidentialité, le Royaume-Uni peut se plier aux règles européennes. Cependant, ses activités de surveillance seront soumises à un contrôle strict si des données personnelles sont échangées entre les deux parties. Il en va de même pour la position du Royaume-Uni vis-à-vis des taxes et de la concurrence dans le domaine numérique. En effet, les législateurs pourraient espérer que le maintien des politiques européennes amortira le choc pour les entreprises et citoyens, habitués aux protections offertes en vertu du droit communautaire.
SERVICES FINANCIERS
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Tous les types de contrats, de l’assurance aux prêts et dérivés, seront déstabilisés car les entreprises britanniques ne pourront plus fournir de services aux clients de l’UE (ou vice-versa) à l’aide des mécanismes dits de “passeport”.
- Les contrats britanniques risquent également d’être perturbés car ils font toujours référence à des lois ou instances européennes.
- Les banques de l’UE qui possèdent des dérivés compensés par des chambres de compensation britanniques jouant le rôle de contrepartie centrale (CCP) seront en infraction, étant donné que ces CCP seront interdites.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Il pourrait s’avérer nécessaire de liquider les contrats, sans quoi ces derniers deviendraient inapplicables. D’après les rapports de l’Association des marchés financiers en Europe, 1,3 milliard d’euros d’actifs bancaires, parmi lesquels des prêts, valeurs mobilières et dérivés, pourraient exiger un transfert du Royaume-Uni vers l’UE. Le montant total des encours des prêts accordés par les banques britanniques à des sociétés européennes équivaut à environ 180 milliards d’euros.
Les chambres de compensation britanniques jouant le rôle de contrepartie centrale (CCP) sont des institutions financières qui assurent la liaison entre les parties dans une transaction afin de réduire le risque de défaillance. Les banques européennes qui effectuent des transactions de dérivés compensés via ces chambres verraient leurs besoins en capitaux flamber, car les dérivés compensés par une CCP non autorisée sont soumis à des pondérations de risque de 100 %, contre 2 % actuellement.
Preuve de l’ampleur des activités concernées à Londres, la plus importante CCP pour les swaps libellés en euros, LCH Swapclear, a compensé un volume notionnel de 83 billions d’euros de swaps libellés en euros entre janvier et juin 2017, selon l’Association internationale des swaps et dérivés. Un quart de ce montant était issu des activités d’entreprises installées dans l’UE.
Les institutions de compensation européennes s’exposeraient à de lourdes peines si elles continuaient à compenser les échanges à Londres, que ce soit en euros, en dollars ou en yens.
Que réserveront les mois suivants ?
D’après l’Association des marchés financiers en Europe, les contreparties devront revoir tous leurs contrats un par un afin d’identifier les parties qui ne sont plus applicables sous le régime actuel, et de savoir quels sont les droits de résiliation, solutions de repli, éléments déclencheurs et conséquences énoncés dans le contrat. Les clients devront ensuite revoir leurs relations bancaires et négocier de nouveaux contrats.
Les entreprises chercheront à obtenir des autorisations pour leurs établissements européens ou britanniques, causant un énorme arriéré de demandes qui submergera les régulateurs. Cela pourrait se traduire par des délais d’attente prolongés avant de pouvoir bénéficier des services de ces établissements. Parallèlement, la Commission européenne pourrait exiger que les principales activités de compensation en euros soient menées dans l’UE afin d’être autorisées.
Selon les estimations formulées dans un rapport du cabinet Oliver Wyman, près de 40 000 emplois dans le secteur des grands comptes pourraient être transférés depuis Londres vers le continent. Ce chiffre pourrait même atteindre 200 000 si l’on inclut les emplois dans le secteur bancaire et les rôles auxiliaires.
Comment y remédier ?
Les lobbys financiers appellent les législateurs britanniques à établir un “principe d’antériorité” pour les anciens contrats dans le projet de loi britannique de retrait de l’Union européenne. Ce qui signifie que les règles sous lesquelles ils ont été passés resteraient applicables pour eux, tandis que les nouveaux contrats seraient soumis aux nouvelles règles.
Les contreparties individuelles pourraient également éviter toute mauvaise surprise en ajoutant dans leurs nouveaux contrats des clauses précisant comment réagir aux retombées du Brexit.
DROITS DES CITOYENS
Que va-t-il se passer dans l’immédiat ?
- Les citoyens britanniques résidant dans d’autres pays de l’UE pourraient perdre le libre accès à un médecin traitant, le droit de travailler, le droit à l’aide sociale et l’accès à l’éducation pour leurs enfants.
- Le projet de loi de retrait de l’Union européenne, s’il est accepté par le Parlement britannique, contient quelques mesures de protection pour les citoyens de l’UE résidant au Royaume-Uni, car les directives sur la libre circulation seront transposées dans la loi britannique. Cependant, dans la pratique, rien n’empêchera le Royaume-Uni de retirer tous les droits dont les citoyens européens jouissent actuellement.
- Exhorté à reprendre le contrôle de l’immigration, le gouvernement pourrait instaurer un système de visa pour les citoyens européens qui souhaitent rester au Royaume-Uni pendant de longues périodes.
- Les citoyens britanniques qui se rendront sur le continent ne pourront plus utiliser les cartes européennes d’assurance maladie (CEAM), qui permettent d’être remboursés les frais médicaux lors d’un séjour dans un autre pays d’Europe. Le contraire est également valable.
Quelles seront les conséquences à court terme ?
Chez les deux parties, il existe une réelle volonté politique de parvenir à un accord sur les droits des citoyens qui se retrouveront du mauvais côté de la Manche après le Brexit. Sans accord, les conséquences seront désastreuses pour ces personnes.
“Le droit à l’aide sociale, au logement et aux services publics résulte de l’application de la loi européenne. Si le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE, ses citoyens ne seront plus protégés par ces droits”, a déclaré John Springford, directeur de recherche au Centre for European Reform.
Résultat: le retour des citoyens de l’UE résidant au Royaume-Uni vers le continent augmentera de manière exponentielle, causant de sérieuses difficultés aux entreprises qui devront trouver des candidats pour les remplacer. Le système de santé publique NHS sera particulièrement affecté : près de 60 000 employés proviennent d’autres pays de l’UE.
Le ministère de l’Intérieur aura du mal à faire face aux dizaines de milliers de candidatures déposées par les personnes qui souhaitent régulariser leur statut d’immigration. Par conséquent, le traitement de ces dossiers et des recours contre les avis d’expulsion prendra beaucoup de retard.
Que réserveront les mois suivants ?
Le retard dans le traitement des demandes ne cessera de croître et de nombreux citoyens de l’UE ne pourront pas rester au Royaume-Uni malgré leurs efforts. “Les individus qui ne peuvent prouver qu’ils résident au Royaume-Uni depuis cinq ans, ou qui y vivent depuis des lustres mais sont partis quelques années à l’étranger entre-temps – autant de situations qui posent problème et auxquelles il faudrait remédier”, a expliqué John Springford.
Des centaines de milliers de citoyens britanniques seront confrontés aux mêmes difficultés dans les 27 pays membres de l’UE. “Certaines personnes ont sans doute déjà pris des mesures pour se protéger en obtenant la nationalité [du pays dans lequel ils vivent], mais il existe des pays qui n’acceptent pas la double nationalité”, explique Catherine Barnard, professeur de droit européen à l’Université de Cambridge.
Des milliers de recours juridiques seront probablement déposés des deux côtés par ceux dont le statut d’immigration légal a été révoqué avec le Brexit.
Comment y remédier ?
Si tout espoir d’un accord avec l’UE disparaît, le Royaume-Uni pourrait revenir à la situation avant adhésion, caractérisée par des ententes bilatérales avec chaque pays. “En faisant preuve de bonne volonté, ce qui ne devrait malheureusement pas être le cas à ce stade car ce serait assez grave, nous pourrions imaginer des États concluant des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni”, indique Catherine Barnard.
“Nous pourrions avoir un premier arrangement avec l’Espagne sur les soins de santé et un deuxième, toujours avec l’Espagne, sur la sécurité sociale et les pensions”, ajoute-t-elle. Tous ces accords devraient être négociés avec un État à la fois.
Chaque citoyen bénéficierait encore d’une certaine protection juridique grâce au droit constitutionnel en vigueur dans le pays concerné, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, l’incertitude serait grande de part et d’autre de la Manche.
Annabelle Dickson, Cat Contiguglia, Jakob Hanke, Hans von der Burchard, Simon Marks, Joshua Posaner, Cathy Buyck, Sara Stefanini, Kait Bolongaro, Helen Collis, Mark Scott, Marion Solletty, Giulia Paravicini et Kalina Oroschakoff ont contribué à ce rapport.
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